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Les revues
de sciences humaines et sociales
doivent-elles être classées ?

Une vingtaine de revues de sciences humaines et sociales sont co-signataires d'un appel à refuser l'établissement d'un "classement" des revues de recherche par l'AERES : le texte (ci-dessous) de leur prise de position commune est déjà signé par une trentaine de revues.

Vous retrouvez les noms des revues co-signataires au bas de l'appel ci-dessous. Les comités de rédaction d'autres revues peuvent les rejoindre à revues.shs.unies@shesp.lautre.net. On peut aussi signer individuellement l'appel à http://www.shesp.lautre.net/spip.php?article46

Le texte publié le 18 février 2009 et mise à jour le 25 février 2009
par revues.shs.unies@shesp.lautre.net

« Un débat très important agite, depuis 2008 au moins, la communauté internationale des chercheurs. Il concerne les revues et les modalités de leur classement, de leur notation et de leur évaluation. L'évaluation des revues n'est pas neuve (pensons par exemple au classement proposé par le CNRS en 2004), et les chercheurs sont familiers de la logique de hiérarchisation, plus ou moins formelle, qui sous-tend les pratiques scientifiques. Il nous semble même normal, sensé et essentiel que soient mises en valeur et distinguées les revues dont la qualité scientifique est reconnue par les professionnels de la recherche. Mais selon quels critères et selon quelles modalités ? Aujourd'hui, il nous paraît urgent de faire connaître notre position sur cette question, d'autant que la signification de la liste française de revues établie par l'AERES (Agence d'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur) s'est vue confortée par la réforme du statut de l'enseignant-chercheur promue par l'actuel gouvernement.

Pourquoi ce projet de réforme, qui met les chercheurs dans la rue depuis bientôt deux mois, s'inscrit-il dans le prolongement direct de la création de l'AERES et de son classement des revues ? Parce qu'octroyer à l'AERES le monopole de l'évaluation des chercheurs consiste tout simplement à faire des revues les supports privilégiés de la discrimination et de la compétition entre chercheurs. Une fois la réforme adoptée, ces derniers seront jugés uniquement sur le nombre de leurs publications et sur la note attribuée, par l'AERES, à la revue dans laquelle ils auront publié. Pour le dire autrement, si un chercheur publie un texte dans une excellente revue spécialisée, mais mal (voire pas du tout) classée par l'AERES ou par son aîné l'ERIH (European Reference Index for the Humanities), il ne sera pas considéré comme un « bon » chercheur, et verra son travail confiné aux tâches enseignantes et administratives. Il n'aura donc plus l'occasion de mener à bien ses recherches et de les publiciser.

Pourquoi cette réforme est-elle en totale inadéquation avec la manière dont fonctionnent nos revues ? Même si elles reposent sur le principe de la sélection et de la critique constructives, les revues en sciences humaines et sociales n'ont absolument pas vocation à noter les chercheurs ! Elles produisent et transmettent un savoir. Qu'elles soient spécialisées, généralistes, ou interdisciplinaires, leur objectif est d'informer la communauté scientifique, de transmettre de nouveaux programmes de recherche, de poser des problèmes, de discuter des méthodes, de stimuler les interprétations, et non de récompenser ou sanctionner les individus. La logique comptable et compétitive de l'actuelle réforme met à mal, tout particulièrement, le rôle des « comités de rédaction », qui travaillent en effet collectivement à l'élaboration d'une ligne éditoriale, en fonction de laquelle les articles sont sélectionnés ou non pour la publication. Les placer en position de faire le tri entre « bons » et « mauvais » chercheurs, c'est introduire, dans leur travail, d'autres considérations que celles qui président à la ligne éditoriale de la revue. Or les membres d'un comité de rédaction ne sauraient être réduits à la fonction de froids administrateurs, fidèles aux critères de sélection dictés par la mode du moment ou par une conception homogène et stagnante des définitions de la scientificité. Une revue n'existe pas non plus sans le travail d'un comité de lecture dont l'avis consultatif ou le pouvoir décisionnel sont absolument cruciaux. Il revient en effet au comité de lecture de juger les articles répondant à l'appel à contributions lancé par une revue. Les choix de publication qu'effectue un tel comité n'ont rien de neutre, et il n'y a donc aucune raison pour qu'il en existe une forme unique et supérieure. Là encore, se joue l'identité d'une revue.

La course à la publication, le risque de discriminations injustifiées et de renforcement des dissymétries, l'accumulation de critères de sélection mal ajustés aux situations spécifiques : voilà ce que propose aujourd'hui le Ministère de la Recherche aux revues dont certaines sont pourtant mondialement réputées pour leurs qualités scientifiques et l'originalité de leur ligne éditoriale. Voulons-nous d'une classification arbitraire des revues ? Voulons-nous que les revues soient instrumentalisées, pour ne plus devenir, en fin de compte, que les « chambres d'enregistrement » des ambitions individuelles des chercheurs ? Non, car cette logique compétitive et quantitative correspond mal aux temporalités de la recherche en sciences humaines et sociales. Faire du terrain, aller aux archives, formuler de nouvelles hypothèses, proposer des interprétations, écrire, et penser, tout cela prend du temps ! A l'inverse, être condamné à publier à tout prix, n'importe où, n'importe quand, afin d'éviter la relégation dans la catégorie « mauvais chercheur » est tout simplement incompatible avec les exigences d'un travail de recherche honnête.

Les mutations actuelles de l'Université font peser un grand nombre d'incertitudes sur l'avenir financier et matériel de la plupart des revues. Beaucoup d'entre elles étant liées à des institutions, des laboratoires, des centres de recherche, amenés à être restructurés si l'AERES et l'ANR (Agence Nationale de la Recherche) en décident ainsi, elles risquent clairement leur survie ! Il faudrait donc mener une réflexion digne de ce nom sur les modes de subvention des revues. D'autant que dans le contexte d'un tarissement évident des abonnements de bibliothèques et d'une baisse non moins évidente des ventes de sciences humaines et sociales en librairie, les revues se retrouvent confrontées aux questions de la numérisation et de l'édition électronique. En dépit de l'existence de portails comme Cairn et Revues.org pour la mise en ligne des revues « vivantes », ou Persée pour les anciens numéros de revues, la France accuse encore un certain retard dans le débat sur ces questions, faute de prise de conscience politique sur le sujet. Et pour cause : le Ministère de la Recherche nous dit que la revue va devenir le moyen central de l'évaluation des chercheurs, mais ne songe même pas à ce qu'est réellement une revue de sciences humaines et sociales ! Il en ignore farouchement les modes de fonctionnement, les usages, l'originalité éditoriale, les soutiens et modes de financement. Ceci, finalement, n'étonnera guère, puisque force est de constater que le gouvernement actuel veut engager à toute vitesse la réforme de la recherche, sans même avoir pris le temps d'en connaître ni les acteurs ni les supports.

Nous exigeons que les revues ne soient pas transformées en instruments de contrôle des chercheurs, et appelons donc à une suppression des listes de revues AERES, dans le prolongement de la demande de moratoire du 9 février 2009 par les instances scientifiques du CNRS. Nous demandons que soient préservées la pluralité, la diversité et les spécificités des revues de recherche en sciences humaines et de sciences sociales ».

Comités de rédaction des premières revues signataires :
(au 24 février 2009)
Actes de la recherche en sciences sociales
Annales du Midi
Champ Pénal
Clio. Histoire, Femmes et Sociétés
Communication
Études Roussillonnaises. Revue d'Histoire et d'Archéologie Méditerranéennes
Genèses. Sciences sociales et histoire
Gérer et comprendre  
Hérodote
Interrogations
Journal des anthropologues  
L'Homme
La Recherche en éducation Revue électronique internationale francophone
Le Temps des médias
Politix
Revue d'histoire du XIXe siècle
Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée
Revue du MAUSS
Revue Française de Socio-Economie
Ruralia
Tracés. Revue de Sciences Humaines
Travail, genre et société
Vingtième Siècle. Revue d'histoire

Toutes les revues signataires :

Lien social et Politiques
Arabica
Socio-Anthropologie
Actuel Marx
Textuel
Temporel
Seizième Siècle
Lieux communs
Revue Européenne des Migrations Internationales

Vous pouvez trouver la liste constamment mise à jour des revues signataires à cette adresse :

http://www.shesp.lautre.net/spip.php?article46


La participation à cette démarche des revues se fait à deux niveaux :
1) les revues peuvent signer en tant que telles auprès des auteurs du texte : revues.shs.unies@shesp.lautre.net
(merci de n'envoyez un e-mail à cette adresse que si vous vous exprimez au nom du comité de rédaction de la revue dont vous êtes en charge.)
2) toute personne peut soutenir leur démarche en signant dans le formulaire automatique à cette adresse

http://www.shesp.lautre.net/spip.php?article46

Vous y retrouvez la liste constamment mise à jour des revues signataires


Merci de n'envoyez un e-mail à cette adresse revues.shs.unies@shesp.lautre.net que si vous vous exprimez au nom du comité de rédaction de la revue dont vous êtes en charge.

 

 



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